Je souris. Ce n'est pas très sincère mais qui le saura ? Je fais aussi des révérences parfaites à tout le monde. Ce n'est pas plus sincère que mes sourires mais je le fais quand même. Avoir du sang pur dans les veines n'a pas que des avantages. Le premier inconvénient, c'est la tenue. Une apparence soignée est totalement indispensable dans une famille au sang pur, ça ne peut pas marcher sans cela. Mon frère, Eliott l'a bien compris et il est très vite devenu un professionnel pour ce qui est de la perfection. Nous avons trois ans d'écart lui et moi, ce qui est relativement peu lorsque l'on pense à mon petit frère, Ethan, avec lequel j'ai sept ans de différence. Mes parents étaient tout deux issus de l'aristocratie, mon père anglais, Howard Bradshaw, et ma mère française, Clémentine Duroy, ils avaient été promis l'un à l'autre dès leur plus jeune âge et je m'étais souvent demandée ce qu'ils avaient pu ressentir. Il était évident que le destin n'avait pas bien fait les choses et qu'ils n'avaient pas eu un coup de foudre l'un pour l'autre cependant j'ignorais s'ils s'étaient tout de même entichés au fil des années ou si le silence avait été la meilleure solution à leurs yeux. J'avais l'impression que ma mère avait beaucoup d'affection pour mon père mais il était si froid et si dur que je n'avais jamais réussi à déceler la moindre étincelle pour sa femme. Il m'arrivait de penser que peut-être, mon père s'efforçait de ne rien éprouver pour ma mère à cause de son statut de cracmole qui avait été soigneusement enfoui au fin fond de nos mémoires tel un secret de famille abominable. Il fallait faire bonne figure.
Longtemps, j'ai essayé de me plier à cette règle primordiale mais je crois qu'elle et moi n'étions pas compatibles. Il y avait toujours un détail pour tout gâcher. « Ce que tu peux être sotte ! Tu ne pouvais pas lacer tes souliers avant que nous partions ? » ou « Par la barbe de Merlin, j'ai hérité de la fille la plus maladroite du monde sorcier. » ou encore « Mais quelle idée as-tu eu d'aller te cogner contre ce meuble ? Enfin, je peux comprendre que ça ait été une maladresse mais pourquoi, oui, pourquoi n'as-tu pas rattrapé le vase avant qu'il ne tombe ? Je ne crois pas que ton égratignure ait été plus importante que ce vase ! » Mes explications ne servaient bien souvent à rien car mon père ne souhaitait rien savoir. Que je me sois égratignée jusqu'à l'os sur ce meuble n'avait pas d'importance, tout du moins pas face à un vase unique en son genre, tout droit importé d'Égypte. Mon père me méprisait, en revanche, il adorait mon frère. Eliott était pour lui, le fils prodige qui valait une dizaine de spécimen dans mon genre. Ma mère nous aimait tous les deux au même niveau et c'était le plus rassurant. Si mon père me grondait pour une maladresse, ma mère venait me réconforter aussitôt la crise passée. Un jour, j'ai enfin compris pourquoi mon père était si dur avec moi. J'avais huit ans et je faisais les cent pas dans la maison en me brossant les dents lorsque j'étais passée devant la chambre de mes parents, j'avais perçu les bribes d'une dispute et intriguée, j'avais collé mon œil à la serrure pour profiter de la vue en plus de l'écoute. « Je suppose que tu ne t'y attendais pas. Tu pensais que je ne l'apprendrais pas. » gronda alors mon père. « C'est plus compliqué que ça, Howard. » répondit ma mère en fermant les yeux. « Bien sur, c'est toujours trop compliqué. » répliqua mon père d'un ton dur. « Oh, je t'en prie. Ne réagis pas comme ça. Ce n'est pas comme si tu étais un ange non plus. » ; « Pardon ? Nous parlons de toi, Clémentine, de toi et de tes erreurs ! N'essaye pas de changer de sujet. » s'emporta mon père. « Non mais je rêve. Toi qui as si bien su découvrir le fin mot de l'histoire, tu as dû aussi deviner le pourquoi. Et ne parle pas d'Evelyne de cette manière ! C'est ta fille, je te le rappelle. » lui répliqua ma mère, à son tour en colère. « Non, justement ! Elle n'est pas ma fille, elle ne l'a jamais été ! Et que dois-je comprendre ? Que tu as voulu te venger de moi ? » demanda-t-il. « Ben voyons. Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre ! Tout ne tourne pas qu'autour de toi, Howard. La preuve, ma vie ne tournait tellement pas autour de toi que j'ai réussi à avoir un bébé toute seule. Et je ne me suis pas vengée mais, par Merlin, j'aurais dû. Oui, j'aurais dû. » ; « Cesse donc de faire des sous-entendus minables et dis moi plutôt clairement ce que tu me reproches. » Ma mère inspira, et regarda mon père droit dans les yeux avant de lui lancer d'une voix glaciale : « Hm, par où commencer ? Ta première secrétaire peut-être ? Ou la deuxième. Et la troisième. Sans parler de celle que tu as actuellement. Ou peut-être devrais-je commencer par la femme de chambre ? Oh ! Il y a aussi cette soi-disant journaliste avec laquelle je t'avais surpris. Et puis, la directrice des sports magiques aussi. Est-ce que je dois continuer ou bien cela te suffit ? » Mon père avait pâlit. Il s'était assis sur le bord du lit, les yeux rivés vers le sol. Il resta un moment silencieux tandis que ma mère avait repris le rangement du linge comme si rien ne s'était passé. Puis, dans le silence pesant de leur chambre à couché, mon père avait ensuite murmuré : « Je ne crois pas que cela mérite un enfant illégitime. » Ces propos presque inaudibles m'avaient fait lâcher ma brosse à dent. Je l'avais ramassée à la va-vite pour m'enfuir aussitôt vers la salle de bain. Je n'avais pas pleuré sur le moment mais après m'être rincée les dents et contemplée dans le miroir, les larmes m'étaient venues. Je m'étais précipitée vers ma chambre avant de fondre littéralement en larmes, totalement bouleversée par tout ce que je venais d'entendre.

Et puis, j'ai grandi. Je ne sais pas si j'ai vraiment mûri, à l'intérieur, mais de l'extérieur en tout cas, j'avais changé. J'ai arrêté de vouloir être parfaite. Je me suis plutôt concentrée sur le côté imparfait que j'avais au fond de moi et je l'ai exploité. Je me suis mise à être moi-même, au grand désespoir de Howard, qui n'était pas mon père. Le pire dans toute cette histoire, c'est que mon frère et moi, nous nous entendions toujours aussi bien et ça, ça mettait Howard hors de lui. En réalité, la relation que j'entretenais avec mon frère était assez complexe. En tant qu'ainé et que petit homme parfait, il avait acquis de nouvelles responsabilités avec mon changement. Mon frère passait toujours derrière moi pour réparer mes bêtises. Je taguais le mur du jardin ? Il passait toute la nuit à le nettoyer. Je déroulais du papier toilette dans toute la maison ? Il le ramassait avant que quelqu'un ne le voit. Si j'avais souhaité m'en sortir sans problèmes, ça aurait été super qu'il fasse tout cela pour moi mais ce n'était pas du tout le cas et son côté sauveur me gâchait la vie. Je lui avais dit des tas de fois de ne pas se mêler de tout cela mais il acquiesçait en recommençant à jouer les justiciers quelques minutes plus tard. Quelque part, c'était aussi bien qu'il me couvre parce qu'à onze ans, mon petit frère qui en avait trois, me suivait partout (ou presque) et faisait toutes les bêtises que je pouvais faire sous son nez, et il apprenait vite.
J'ai passé les cinq années suivantes à ne faire que du n'importe quoi. J'ai commencé à boire à quatorze ans, à fumer à seize. C'est d'ailleurs à cette période que je perdais aussi ma virginité. Mais avant, à douze ans, je découvrais quelque chose que je n'avais alors jamais soupçonné et qui se trouvait pourtant juste sous mon nez : les moldus. En réalité c'était du hasard complet, pendant une journée de vacances où j'étais punie. Howard m'avait enfermée dans ma chambre et confisqué tous les objets susceptibles de constituer une quelconque occupation. Il avait tout prit et m'avait laissée seule dans ma chambre, telle une prisonnière. On se serait cru à Azkaban ! Enfin, la seule chose que je pouvais donc faire consistait à regarder les passants de ma fenêtre et à les étudier. Et là, surprise, j'avais observé des moldus. Ils passaient devant chez moi, sans se douter une seule seconde de qui j'étais et agissaient complétement anormalement pour moi. Ils discutaient entre eux, certes comme nous les sorciers mais ils utilisaient aussi de drôles d'engins avec des roues ou encore de petites machines qu'ils mettaient à l'oreille en parlant. J'étais totalement fascinée. Je voulais savoir ce qu'étaient tous ces objets totalement inconnus de la petite fille que j'étais.